Hommage à un « Artiste »exigeant et inventif
A la fois agriculteurs, artisans et artistes, les rosiéristes, ou « obtenteurs » de roses appartiennent à une catégorie bien particulière de jardiniers. On ne dira pas qu’ils sont éternels mais certaines de leurs créations leur permettent d’être présents même après leur disparition. En effet, il faut de six à neuf ans pour obtenir une nouvelle rose. Si l’hybridation qui donné naissance à une nouveauté a eu lieu par exemple en 2010, elle pourra être commercialisée et baptisée à partir de 2016 et cela même si le rosiériste a disparu. C’est le cas de François Dorieux qui a quitté le monde des roses et des hommes au début 2015. Mais les roses qu’il a conçues lui survivent. Ces roses dites « posthumes » témoignent de la créativité du rosiériste.
Montagny, à quelques kilomètres de la « frontière » entre le Rhône et la Loire, dans ces vallonnements verdoyants qui séparent les Mont du Lyonnais de la plaine du Forez : c’est dans ce gros village que son grand-père, François Dorieux (1902-1980), originaire de Bully dans le Beaujolais est venu mettre ses bras de jardinier au service d’une maison bourgeoise. Puis il se lança dans les cultures maraîchères et les végétaux d’ornement. La rose ? Il en rêve, mais il n’a pas le temps. Il faut faire tourner l’exploitation. La rose ? Elle le démange ! Il potasse « Les Amis des Roses ». Il demande conseil aux Meilland dont il cultive les rosiers. Il finit par se lancer : en 1954, il présente ‘ Floralies de Valenciennes’ qui le consacre comme rosiériste. La voie est désormais tracée. A François, succédera son fils Jean (1928-2004) qui fit passer l’exploitation à une autre dimension : une production annuelle 100 000 en 1970 ; gains de productivité n’empêchant pas la sortie de nouvelles obtentions telles ‘Rouge Dorieux’ (1967), ‘Tentation’ ( 1968).
Très tôt, François, son fils, qui porte le même prénom que son grand père, est saisi de la passion de l’obtention. A 15 ans, il commence à hybrider et la troisième génération de cette autre dynastie de rosiéristes est sur les rails . Sa première née, ‘Bernadette’ (1976) viendra au monde alors qu’il a tout juste 21 ans. ‘Julien Renoard’ (1987) , ‘Flushing Meadow’ (1988) occuperont le terrain des années 80 et commenceront à rafler les prix comme ‘Starion’ (1986 ), « Plus belle rose de France » à Lyon en 1987. Par la suite, ces essais seront joliment transformés par exemple par ‘Violette Parfumée’ (1995), médaille d’or à Bagatelle et d’autres prix lors de prestigieux concours à Baden-Baden, Madrid, Rome, et Portland (USA). Pour François Dorieux, le 21ème siècle commencera très fort et très haut avec ‘Annapurna’ (2001) remportant médaille sur médaille (Baden-Baden, La Haye, Prague, Rome, Los Angeles, Tokyo et bien sûr Lyon), ‘Empreinte’ (2005) avec son air chiffonné de rose ancienne, ‘Abbaye de Valsaintes’ (2006), aussi rose que parfumée, et ce chef d’œuvre qu’est ‘New Imagine’ (2005), une tricolore peinte en blanc, rose et violet.
Les obtentions de ces dernières années témoignent d’un intense travail de recherche tant sur la couleur et le parfum que sur l’originalité : ‘Reflets de Nacre’ (2007) est une splendeur dont la forme pulpeuse rappelle la pivoine, qui a raflé déjà plusieurs récompenses ; ‘Lavande parfumée’ (2007) ne cache pas sa filiation délicate et odorante avec ‘Violette parfumée’ ; ‘Eclat de tendresse’ (2008) est une jeune « grande fleur » déjà pleine de majesté. Quant à ‘Mystérieuse’ (2008), c’est une sorte de clin d’œil à la chimère de la rose bleue – même si François Dorieux sait fort bien que « la rose bleue est une utopie ». Ont suivi plus récemment la gracieuse rose rose ‘Gilles de Brissac’ (2014) et, commercialisée après la mort du rosiériste, la touchante posthume ‘Hot Pink’ qui semble affirmer son éternité et en tout cas son souci constant, tel un artiste peintre, « de rechercher les meilleures couleurs à déposer sur les roses »
Quand on se rend à Montagny pour une de ces journées portes ouvertes où le GAEC Dorieux présente ses nouvelles productions et dispense aimablement de judicieux conseils, on est désormais accueilli par Georges Dorieux qui était déjà associé à son frère et qui s’est lancé le défi de prendre la relève, aidé par son épouse Marie-Françoise. Occasion de voir combien la tradition des créateurs de la région lyonnaise est fondée sur la volonté de mettre la barre de l’exigence toujours plus haut, sur cette humilité qui faisait dire à François Dorieux « devant la nature, nous sommes toujours des apprentis » et et sur une de ces structure familiales au sein desquelles se transmettent de génération en génération les secrets qui ont fait le succès de Lyon, capitale mondiale des roses .