Lugdunum : aux origines de Lyon, entre légendes et histoire

La légende des corbeaux

« Près de l’Arar (la Saône) se trouve le mont Lugdunus, qui changea aussi de nom, et pour la raison que voici : Momoros et Atépomaros, chassés par Sérérunéos, vinrent sur cette colline, d’après l’ordre d’un oracle pour y bâtir une ville ». Ainsi débute cette belle histoire légendaire de la fondation de Lyon. Deux hommes, peut-être deux frères, dont le nom est de consonance celtique, contraints à l’exil, décident d’arrêter en ces lieux leur marche, et l’anonyme et mystérieux témoin qui se fait appeler « Pseudo-Plutarque » nous conte cette aventure (« De fluviis, VI, 4 »). (Le nom de « Pseudo-Plutarque » est un nom conventionnel donné aux auteurs inconnus d’un certain nombre de pseudépigraphes attribués au philosophe grec de la Rome antique Plutarque.)
Alors que l’on travaillait aux fondations, un vol de corbeaux s’abattit sur les arbres alentour. Atépomaros, le roi, en fut intrigué, et Momoros, le druide, décida d’appeler la ville Lougdounos, de lougos = corbeau et dounos = colline.
A la base de cette légende, cet oiseau qui prend une bonne place dans la mythologie animale, spécifiquement pour les indoeuropéens. Les corbeaux sacrés accompagnaient Odinn-Wotan, l’équivalent germain d’une autre divinité, Lug. Mais, quelle que soit la signification que l’on accorde à cette apparition, certains avancent qu’elle permet de situer « l’événement » dans le temps.
Le retour des corbeaux freux en migration, dans notre région, s’effectuerait en octobre. C’est probablement à cette époque que les personnages de cette légende reçurent ce message du ciel. Cette indication ne revêtirait que peu d’importance s’il ne nous était permis de faire un rapprochement avec la fondation officielle, celle-là, de la cité romaine. Lorsque, sur cette colline de Fourvière, le lieutenant de César, Munatius

Plancus, trace le « decumanus » (dans l’axe du lever du soleil au matin de la fondation) et le « cardo » (gond perpendiculaire au précédent), selon un rite étrusque, le point de croisement déterminant le cœur de la nouvelle ville, nous serions très exactement le 9 octobre ! En revanche, rien ne valide sérieusement cette date, avancée naguère par un spécialiste de l’histoire antique de la ville, Amable Audin. Ce qui est cer-tain, c’est que son fondateur est bien Munatius Plancus et que son action se situe en l’an 43 avant J.-C.

Munatius Plancus

Hors la légende, il est le véritable et authentique fondateur de Lugdunum. Lucius Munatius Plancus est né vers 90/85 avant J.-C. à Tibur (aujourd’hui Tivoli, ville de la province de Rome, dans la région du Latium). C’est un aristocrate, qui a suivi les enseignements de Cicéron, mais il a néanmoins choisi la carrière militaire en se mettant au service de Jules César. Peu après la mort de ce dernier, Plancus, qui a pour objectif de fixer en Gaule les vétérans restés fidèles à César, décide de prendre en charge les colons militaires chassés de Vienne. Cela l’amène à choisir de s’installer sur le site de Fourvière, non loin du confluent de la Saône et du Rhône, sur le territoire des Ségusiaves, peuple gaulois non hostile à Rome. L’endroit est géographiquement et stratégiquement un carrefour idéalement situé. Plancus profite de sa proxi-mité avec Cicéron pour obtenir du Sénat un statut romain à la nouvelle colonie. C’est ainsi qu’il peut procéder à la fondation rituelle que nous avons décrite, en nommant la cité « Colonia Copia Felix Munatia », comportant les épithètes Copia « Abondance », Felix « Fortunée », et Munatia du nom de son fondateur. Mais sous le règne de l’empereur Claude, qui est né le 1er août 10 avant J.-C. dans la cité, le nom de cette dernière se transforme en Colonia Copia Lugdunum auxquels on ajoute les cognomina d’Augusta et Claudia. La référence à Munatius Plancus (Munatia) a disparu. Mais pourquoi Lugdunum ?

De Lug à Lugdunum

Nous avons cité l’existence de Lug. Les croyances gauloises restent encore fort peu connues. César (à qui on ne doit pas forcément faire confiance) pratique une assimilation des dieux celtes au panthéon romain. Il en est toutefois un qui a particulièrement retenu l’attention. Lug, ou Lugus en tant que principale divinité celte. Lug qui aurait donné son nom à Lugdunum se retrouve d’ailleurs en Irlande, équivalant au dieu irlandais Lugh, dit Lamhfhada : « Aux longs bras », parce qu’il avait le pouvoir de frapper à distance. On retrouve son nom dans Loudun, Laon, Lusignan et d’autres villes. Riche essaimage que nous limiterons, en ce qui nous concerne directement, à la possible dévotion consacrée par le sanc-tuaire de Fourvière, dédié à Lug. La colline serait devenue le but d’un pèlerinage que rien ne nous permet toutefois de percer dans le détail. Relevons la date capitale du 1er août, fête de Lug. En Irlande se déroulaient ce jour-là les réjouis-sances de la Lugnasad, valorisant la moisson pour la multi-tude et d’autres mystères pour les initiés. Or pendant toute la durée de l’Empire romain, à cette même date du 1er août, une grande fête sera célébrée sur le site de Lugdunum, réu-nissant les représentants des peuples des trois provinces de la Gaule pour rendre cette fois un culte à Rome et à Auguste. Pure coïncidence ou habile récupération ?
De Lug, nous avons eu une version. Quant au toponyme qu’il inspire, nous ne possédons que trop d’analyses. D’abord, le grec Strabon écrira « Lougoudounou », parfois « Lougdu-num », Dion Cassius, l’auteur d’une « Histoire romaine », « Lugodunum », d’autres « Lugdun », puis « Lugudunum » avant que l’empereur Constance adopte la forme « Lugdu-num » qui s’est généralisée. Restons-en là et penchons-nous sur la signification de « Dunum ». Certains évoquent une alté-ration de « Danaan », la déesse mère de la « famille » divine à laquelle Lug appartient. Lugdunum signifierait donc : « Lug de Danaan », le « u » étant une marque du génitif que l’on retrouve, entre autres, dans les langues scandinaves. Il faudrait plutôt accréditer la thèse, parmi d’autres, de « Dunum »-forteresse.

Couverture Almanach du père Benoit
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