Comment se faire plaisir en sacrifiant à sa passion des plantes et du jardinage tout en cultivant des valeurs telles que convivialité, ouverture aux autres et pédagogie ? Humble, comme tout jardinier, Anthony Bazin ne se risque pas à une réponse ; mais son jardin, boulevard de Bésignoles à Privas, en est une. Un jardin original et attachant tant dans sa conception et sa réalisation, que par les réactions et vocations qu’il suscite.
Autour d’une bâtisse XIXème devenue la résidence principale de la famille Bazin au début des années 2000, ce petit jardin [PB1] (300 m2) avec son cyprès et quelques cerisiers n’avait rien de singulier. « Tout était à faire. Nous avions très envie de le transformer et nous sommes lancés dans son aménagement avant que les travaux intérieurs de la maison ne soient terminés » raconte Anthony, un passionné mais aussi un bon technicien puisqu’il est « paysagiste-concepteur » au département de l’Ardèche. Le parti pris retenu est celui de l’exotisme. Ce qui est aussi un défi dès lors que l’Ardèche, malgré le réchauffement climatique et des étés caniculaires, n’est pas à classer dans les régions à climat tropical ou subtropical. Mais le jardin est clos de murs. Ce qui lui fait bénéficier d’un microclimat plus que tempéré. Et pour qu’elles puissent s’acclimater et résister aux assauts ponctuels de l’hiver, Anthony Bazin a retenu des essences qui supportent les rigueurs ardéchoises, telles que Fatsia japonica, agaves, opuntia, yucca, trachycarpus (palmier résistant au froid). Au total, quelques 400 espèces et variétés retenues pour leur feuillage plus que pour les fleurs qu’elles peuvent donner.
Exubérance et exotisme
Un si grand nombre de végétaux sur une si petite surface donne l’impression recherchée, celle de l’exubérance. Une sorte de micro-forêt vierge en apparence mais en fait un jardin très structuré avec des aménagements tels que terrasses, emmarchements, calades et mosaïques de pierres réalisées à la main avec des matériaux locaux. Il faut souligner aussi que grâce à son savoir-faire de paysagiste, Anthony est parvenu à cloisonner l’espace en une série de petits jardins définis par des ambiances différentes – « tout en gardant, précise-t-il, le fil conducteur auquel je tenais, celui de l’exotisme ». Exotisme évoqué par plusieurs clins d’œil en direction de l’Afrique, de l’Indonésie ou du Japon, avec « l’arbre-fétiche du jardin » un splendide yuzu, cet agrume emblématique de l’archipel.
Le pari est réussi. Grand voyageur, Anthony aurait pu faire une halte et se contenter de voyager dans l’univers qu’il a créé, puisque « quand on rentre dans mon jardin on est ailleurs ». Mais, constatant que son jardin intriguait les riverains, il a décidé d’aller plus loin sur le modèle d’un talus du domaine public qu’il s’était permis d’aménager dans le prolongement de son jardin. Le jardinier a eu une idée de génie qu’il a pris le risque de transformer en réalité. Faisant concurrence au facteur, il a distribué dans les boites des riverains une lettre leur proposant de transformer, avec l’accord de la commune, une bonne partie du boulevard en une « rue jardin ». Sur quelques quatre vingts enveloppes déposées, il reçut une bonne dizaine de réponses positives dont les auteurs se sont mis au travail sous la houlette d’Antony.
Une rue transformée en jardin
En quelques années, à raison d’une séance d’une matinée par mois, généralement le samedi – qui se termine traditionnellement par un apéro, convivialité oblige – ces riverains du boulevard [PB2] de Bésignoles ont transformé, sur 500 mètres linéaires, cette voie assez banale en une « rue jardin » que passants et visiteurs (1) commencent à appeler la « rue des fleurs ». Réalisation d’autant plus remarquable qu’elle n’a pas coûté un centime, ni aux jardiniers de rue, ni à la commune. En effet, le collectif de riverains n’a réclamé ni reçu aucune subvention. Ils se sont débrouillés tous seuls. Pas de sous, mais beaucoup d’huile de coude et de bonnes idées, notamment celle de conclure des partenariats avec des producteurs de plantes. C’est ainsi que la maison Laporte de Larnas, spécialiste de l’iris, a offert trois cents variétés de sa collection, une des plus belles de France ; une fois en place, ils ont transformé le boulevard des Bésignoles en une somptueuse iriseraie. De son côté Eléonore Cruse, la célèbre créatrice de la roseraie de Berty, à Largentière a offert trente sujets de sa collection de roses anciennes et botaniques. Même chose de la part de André Eve, obtenteur et collectionneur de rosiers. D’année en année, la rue est presque de devenue une sorte de jardin botanique et d’acclimatation. Plus d’un millier d’espèces et de variétés y ont été plantées : iris, roses, ainsi que plantes méditerranéens (sauges, romarins, lavandes) et des graminées ornementales, telle Stipa gigantea, qui conviennent parfaitement au sol et au climat et s’y développent comme s’ils avaient toujours été là.
A l’heure où les citadins réclament toujours plus de végétal pour limiter les effets du réchauffement climatique, ce jardin est des plus remarquables. Il attire déjà de nombreux visiteurs, suscite des vocations et fait des émules, notamment à Antraigues et l’on peut souhaiter qu’il en fasse d’autres. En attendant, il est la preuve que « avec de la bonne volonté on peut changer l’image d’une rue pour rien du tout » souligne Anthony Bazin.
Pierrick Eberhard
Le jardin d’Antony Bazin se visite de mai à octobre sur rendez-vous (06 28 23 23 91 ou jardindebesignoles@yahoo.fr)