Tous les deuxièmes samedis du mois de mars (le 13 en 2021), les pêcheurs ont rendez-vous avec la truite pour l’événement-phare de l’année halieutique. Un grand moment de communion entre les hommes et la rivière qui marque, chaque année, le vrai début de la saison de pêche.
A la fois rare et mystérieuse, la reine du jour est un poisson quasi mythique, que les disciples de Saint-Pierre retrouveront après de longs mois de privation (la pêche est fermée depuis septembre). Au petit jour, quand la rivière fume encore au sortir des grands courants, les premiers lancés, même s’ils sont un peu maladroits parfois, auront une saveur incomparable. L’attente fébrile de la première touche, ce moment magique où l’on sent que, enfin, le poisson est en train de saisir votre appât ou votre leurre, le ferrage réflexe et la truite qui part en flèche, tirant sur le fil avec la dernière énergie et vous gratifiant, parfois, de quelques sauts et cabrioles, sont autant d’émotions qui accompagneront longtemps rêves ou insomnies…
Mais l’ouverture, c’est avant tout le plaisir de retrouver les copains pour des casse-croûte souvent mémorables, autour d’un grand feu quand il fait beau, plus sagement abrités sous le hayon du coffre lorsqu’il pleut. Et peu importe alors, que la pêche ait été bonne ou pas. L’heure est aux retrouvailles avec la rivière, la nature et à la célébration de la longue saison de pêche qui s’ouvre enfin…
Il y a truite…et truite !
On trouve en France deux sortes de truites : la truite Fario (la truite sauvage) qui vit naturellement dans nos eaux, et la truite Arc-en-ciel, importée du continent Nord-Américain.
La truite commune (Salmo trutta fario) possède un corps couvert de points noirs ; les points rouges, plus rares, sont parfois totalement absents. La nageoire caudale (la queue) est très développée et possède un bord droit, à la différence du saumon qui lui, possède une nageoire caudale légèrement échancrée. La taille moyenne d’une truite Fario oscille en France entre 25 cm et 40 cm, pour des poids de 300 à 600 grammes. Mais des poissons approchant d’un mètre et dépassant parfois les 10 kg (record de France à 11,850 kg !) sont plus courants qu’on ne l’imagine, notamment dans les grandes rivières de plaine ou à l’amont des barrages. La nature du sol joue aussi un rôle dans la croissance de la truite : dans les rivières à sol calcaire, elle grossit beaucoup plus vite que dans les régions à sol acide.
La truite Arc en ciel (Oncorhynchus mykiss), importée des États-Unis à la fin du XIXè siècle, est appréciée des pisciculteurs pour sa croissance rapide. C’est elle qu’on trouve chez les poissonniers et dans les restaurants. Dans les rivières et les plans d’eau, elle constitue l’essentiel des déversements de truites adultes effectués dans les jours qui précèdent l’ouverture du mois de mars, pour permettre aux pêcheurs inexpérimentés de prendre plus facilement du poisson. Elle est aussi très répandue dans les plans d’eau artificiels voués à la truite, ainsi que dans certains lacs de montagne, où elle semble trouver un milieu propice.
Une reproduction à haut risque
La reproduction de la truite sauvage, spectaculaire et relativement facile à observer si vous savez vous montrer discret, est un moment-clé pour la pérennité de l’espèce.
Entre novembre et janvier, les truites remontent, parfois sur plusieurs kilomètres, en direction des sources de leur propre rivière ou dans les ruisseaux affluents, afin de trouver les fonds de graviers propres dont elles ont besoin. Dans un endroit pas trop profond et animé d’un bon courant qui va permettre de bien irriguer le sol, la femelle va ensuite creuser patiemment un petit nid dans les graviers. Accompagnée de plusieurs mâles, elle va déposer ses œufs (mille à deux mille en moyenne pour une truite d’un kg) dans le nid en plusieurs fois. Aussitôt fécondés par les mâles, les ovules sont ensuite sommairement recouverts de graviers par la femelle.
Après plusieurs semaines d’incubation (80 jours dans une eau à 5 degrés), les alevins vont éclore mais resteront cachés dans le gravier pendant plusieurs jours, tant qu’ils n’auront pas « résorbé » la vésicule vitelline qui leur permet de survivre pendant les premières semaines de leur existence.
A leur sortie des cailloux, les alevins vont dévaler sur quelques dizaines de mètres, jusqu’à ce qu’ils trouvent un endroit où se cacher (un simple galet peut suffire) et un petit territoire tranquille (intérieur d’un virage, plage pas trop exposée au courant, remous), qu’ils agrandiront progressivement, au fur et à mesure de leur croissance.
C’est durant cette période que les mortalités sont les plus importantes : si les conditions sont parfaites, pour le frai d’une truite d’un kg, on estime que cinq ou six poissons au mieux, parviendront ensuite à l’âge adulte. Mais le colmatage des fonds par des limons, les fortes variations de température pendant l’incubation des œufs, les maladies et les prédateurs naturels (oiseaux piscivores, autres poissons) peuvent encore diminuer très fortement le nombre de rescapées.
Exigeante et donc fragile
Une autre fragilité majeure de la truite réside dans ses exigences quant à son habitat. Comme elle ne peut tenir que quelques dizaines de minutes en plein courant, il lui faut de quoi s’abriter (un gros caillou peut suffire) pendant qu’elle chasse et un poste de repos, où elle pourra totalement se dissimuler (berge creuse, racines baignantes, rochers, etc.). Autant dire que tous les travaux de recalibrage de rivières et ruisseaux à coups de pelle mécanique, sont une calamité pour elle… La truite est aussi très sensible aux pollutions de toute sorte (pesticides agricoles en particulier), bien plus que la plupart des autres poissons.
L’exigence la plus difficile à satisfaire reste cependant son besoin vital d’eaux froides et bien oxygénées (la quantité d’oxygène diminue avec l’élévation de température) : au-delà de 20 degrés, la truite est en souffrance, à 25 degrés, elle meurt. Avec les canicules et les sécheresses que nous connaissons désormais presque chaque année, la situation devient alarmante, y compris dans les régions montagneuses. Au manque de précipitations et aux fortes élévations de températures s’ajoute ici une maladie, la MRP (Maladie Rénale Proliférative), causée par un parasite présent depuis longtemps mais dont le développement s’est brusquement accéléré avec la hausse des températures. En Savoie, la mortalité peut ainsi toucher jusqu’à 90 % des jeunes truites (les plus sensibles à la maladie) sur certains secteurs.
Conscients de ce faisceau de menaces qui pèsent sur leur poisson-fétiche, les pêcheurs ont multiplié les mesures de protection ces dernières années : les tailles légales de capture ont nettement augmenté, le nombre de captures autorisées n’a cessé de diminuer tandis que les parcours en « no-kill », où tous les poissons doivent être relâchés vivants, se sont généralisés. A titre individuel, les disciples de Saint-Pierre sont aussi de plus en plus nombreux à relâcher systématiquement l’ensemble de leurs captures.