Luttes féodales en pays d’Ain : La bataille de Varey il y a 700 ans, le 7 août 1325

Disputes entre Dauphiné et Savoie aux XIIIe et XIVe siècles

Les siècles de saint Louis (1226-1270) et de Philippe le Bel (1285-1314), marqués aussi par les Croisades et un indéniable essor urbain et économique, ont souvent été vécus locale- ment à travers les luttes opposant les grandes maisons souveraines. Celles-ci ont amené non seulement des confrontations armées mais aussi des transferts de juridiction et, donc, de nouvelles conditions de vie. S’y est ajoutée l’intrusion du pouvoir royal, de moins en moins lointain, comme on le voit avec l’exemple de Lyon, qui tombe définitivement dans l’escarcelle capétienne en 1312.

L’antique capitale des Gaules, qui avait accueilli au XIIIe siècle deux conciles œcuméniques, perd alors son statut de ville libre ne dépendant que théoriquement du Saint Empire romain germanique. L’époque peut même s’avérer très instable : le testament du comte Pierre II de Savoie (1263-1268) rédigé en 1264, prévoyait qu’en cas de décès, sa nièce Éléonore (1223-1291), femme du roi Henri III d’Angleterre (1216-1272), hérite- rait du comté ; d’ailleurs, un peu plus tôt, en 1195-1197, Lyon était théoriquement passé sous la suzeraineté anglaise par la volonté éphémère de l’empereur Henri VI (1191-1197).

Les Forez et les Beaujeu aussi

Jusque-là, l’environnement de Lyon demeurait très médiéval, en ce sens que les grands seigneurs y jouaient un rôle de premier plan, même s’il se trouvait déjà contesté. La famille de Forez – dont le comté tire son nom de la ville de Feurs – contrôle le Beaujolais voisin depuis au moins le IXe siècle, mais ses États vont finalement rejoindre le Bourbonnais au XIVe, même s’ils ne seront formellement réunis à la France qu’en 1531. 

Ce Forez constitue le troisième ensemble, avec le Dauphiné et la Savoie, à se situer en quelque sorte aux portes de la ville. Notons que, depuis 1173, les comtes de Forez portent également le titre de comtes de Lyon tout en n’y exerçant plus guère leur autorité. Il vaut également la peine de remarquer que les armes de la famille sont constituées du dauphin des seigneurs du Viennois, également porté par les comtes d’Auvergne à la suite d’un mariage, le nom dauphin étant à l’origine un prénom. Or, tout comme la Savoie, le Dauphiné s’étend au nord et à l’ouest de sa configuration actuelle, c’est-à-dire sur ce qui correspond aujourd’hui à la plus grande partie des pays d’Ain. La Savoie, elle, se sera toujours montrée très intéressée par la Bresse, porte d’entrée vers les foires de Champagne.

On ne peut donc s’étonner que la famille de Forez entretienne de très bons rapports avec le Dauphiné. Jean Ier (1278-1333) a épousé Alix (1277-1309), la fille d’Humbert Ier (1282-1306), de la nouvelle race, celle des La Tour du Pin. Malgré de nombreuses alliances matrimoniales avec la maison de Savoie, cette dernière demeure l’adversaire primordial. Leurs possessions se trouvent en effet enchevêtrées. De son côté, la famille de Forez contrôle des territoires dans les départements actuels de l’Ardèche et de la Haute-Loire, jusqu’aux environs du Puy. Le comte de Savoie, lui, s’est établi sur de nombreux points aux portes de Lyon – et même dans les actuels 3e, 7e et 8e arrondissements –, à Heyrieux, à Vénissieux, à Feyzin, à Villeurbanne, à Vaulx-en-Velin, à Jonage, à Décines, à Rillieux-la-Pape et dans une partie de Caluire jusqu’à la Croix-Rousse. En revanche, les terres du seigneur de Beaujeu, allié aux comtes de Forez, descendent le long de la Saône, par la Dombes et la Bresse, jusqu’à Meximieux.

Les appétits des uns et des autres se heurtent. Le 7 août 1325, Savoie et Beaujeu sont défaits par les armées dauphinoises à Varey-en-Bugey (aujourd’hui partie de Saint-Jean-le-Vieux) les récits de ce temps racontent que « l’ost de Savoye fut bellement desconfit ». Le comte de Forez, Jean Ier, oncle du jeune Guigues VIII de Viennois (1309-1333) et beau-frère du régent Henri (1296-1328), ancien évêque de Metz, obtient des conditions pas trop désavantageuses pour son cousin Beaujeu. Finalement celui-ci reçoit, à proximité de Lyon, Vancia, tandis que, juste à côté, Montluel et l’étang des Échets vont au dauphin et que le comte de Savoie gagne Jonage, encore plus proche de Lyon. Le comte de Forez, quant à lui, se reconnaît vassal du dauphin.

L’État savoyard

Les cartes changent à nouveau de mains lorsque tout le Dauphiné passe sous la juridiction française. Après la mort de Guigues VIII à vingt-quatre ans, son frère Humbert II (1333-1349) réussit à stabiliser la frontière avec la Savoie sur le Rhône et à s’emparer de Pont-en-Royans et de Romans, et même de Vienne, un temps tombée en dissidence. Grand organisateur, créateur du Conseil delphinal et de la Chambre des comptes, il fonde, avec l’accord de Benoît XII (1334-1342), un cistercien français plus préoccupé du redressement spirituel de l’Église que de son expansion territoriale, l’université de Grenoble. Ami de Pétrarque (1304-1374) aussi bien que promoteur d’une expédition en Terre sainte, mais assez dispendieux, il se retrouve sans argent et sans héritier après la mort de son fils André (1333-1335).

Alors, après avoir vainement proposé ses États au roi de Sicile puis au pape, Humbert les vend au roi de France le 16 juillet 1349 par le traité de Lyon – ce qui devrait permettre de contrer les avancées d’une Savoie qui aspire à devenir un grand État. En effet, se positionnant aux côtés des rois de France dans leurs guerres contre les Flamands et les Anglais, elle réussit à s’étendre du côté des pays d’Ain et dans le Genevois, tandis que l’acquisition de Nice lui donne une façade maritime, bien utile pour un pays qui va guerroyer jusqu’en Orient. En outre, un quart de siècle plus tard, entre 1372 et 1374, le Forez et le Beaujolais passent tous deux sous la coupe d’un Capétien, Louis II de Bourbon (1356-1410), descendant de saint Louis. Implanté de Clermont à Moulins, le nouveau Bourbonnais franchit même la Saône avec Trévoux et Ambérieu, tandis que la Savoie récupère Vil- lars, toujours dans la Dombes.

On aura compris que la géographie politique du Moyen Âge s’avère différente de celle que nous connaissons depuis le XIXe siècle. Si les Lyonnais se souviennent que, jusqu’à cette époque, toute la rive gauche du Rhône se trouvait en Dauphiné, ils ont oublié la présence de la Savoie dans toute la région, jusque dans la Dombes, la Bresse et le Bugey ; de même, les habitants de ces territoires, ceux qu’on appelle aujourd’hui les Aindinois, ont perdu le souvenir d’une puissance qui s’étendait du Valais à la Méditerranée et qui, avant de former le noyau unificateur de l’Italie en transférant sa capitale à Turin, se trouvait chez elle partout le long du Rhône, y compris à Genève, où commence à s’installer Amédée V (1285-1323) au tournant des XIIIe et XIVe siècles.

Couverture Almanach du père Benoit
Pour lire la suite achetez l'almanach 2025